Les ambassadeurs et ambassadrices des maisons des ados à l'écoute sur les réseaux sociaux

Les adolescent·e·s utilisent de plus en plus les outils numériques dans leurs relations sociales. Un nouveau moyen pour les professionnels d'entrer en contact avec eux et repérer leurs difficultés.
Média secondaire

Image par Gerd Altmann de Pixabay

Les écrans sont devenus des appuis de la sociabilité adolescente. Notre pratique professionnelle auprès d’adolescents dans une Maison des Ados nous le démontre tous les jours : les adolescents se lient et se délient avec leurs pairs notamment à travers les réseaux sociaux. Les récits des adolescents sur leurs usages du numérique et des réseaux abordent ces nouvelles formes de liens, ces rapports au temps, à l’image et au langage, la question de l’intimité et l’extimité comme l’a montré Serge Tisseron. 

Les Ambassadeurs des MDA : un dispositif créé par la Maison des Ados de Strasbourg

Créées en 2004, les Maisons des adolescents ont pour mission d'accueillir, d’informer et d’accompagner les adolescents dans une approche globale des différents aspects de leur vie. Elles s’adressent en priorité aux jeunes rencontrant des difficultés ainsi qu’à leur famille. 

Dans le cadre de notre activité à la Maison des Ados, j’ai découvert un dispositif mis en place par la Maison des Ados de Strasbourg1. 
Pendant la crise de la Covid-19, la MDA de Strasbourg a créé et mis en place un dispositif à destination des jeunes sur les réseaux sociaux : « Les Ambassadeurs des MDA »2. Ces Ambassadeurs sont des étudiant·e·s en psychologie ou travail social, formé·e·s et accompagné·e·s par la MDA de Strasbourg. Ils vont à la rencontre des jeunes sur les territoires numériques et plus précisément sur les réseaux sociaux. Les missions des Ambassadeurs sont de créer et/ou renforcer des liens avec les jeunes, rompre leur isolement et réduire les inégalités, proposer des espaces de paroles, d’échange, de débats individuels et/ou collectifs, favoriser l’éducation aux médias et à l’information, lutter contre « les fausses informations », diffuser de l’information et des messages de prévention en santé (physique et mentale). Le rôle de la MDA de Strasbourg est de coordonner et animer le réseau et le dispositif, en proposant des temps de formation, et d’analyse de la pratique à la promotion des Ambassadeurs. L’institution propose également un accompagnement très régulier des pratiques individuelles des Ambassadeurs. 

Dans le cadre d’un diplôme universitaire en Cyberpsychologie3, je me suis intéressée à ce dispositif en posant une question de recherche : en quoi un dispositif tel que les Ambassadeurs des MDA, permet-il à travers les réseaux sociaux de tisser des liens d’écoute et de soutien avec des adolescents ? Afin de mener cette recherche, j'ai réalisé des entretiens semi-directifs auprès de quatre Ambassadrices et coordinatrices volontaires de ce dispositif. 

Les résultats montrent que le dispositif des Ambassadeurs des MDA utilise les fonctionnalités et les spécificités numériques des réseaux sociaux, notamment Instagram, pour tisser des liens avec des adolescent·e·s. Les Ambassadeurs publient des contenus autour de la santé globale, contenus permanents (posts) ou éphémères (stories). L’explicitation de leurs missions, statut ainsi que la publication de ces contenus permettent aux adolescent·e·s intéressé·e·s de les contacter par messages écrits. Ceux-ci sont des adolescent·e·s ayant besoin d’être écouté·e·s, soutenu·e·s, rassuré·e·s et qui évoquent majoritairement leur anxiété/stress et leurs liens familiaux. Les réseaux sociaux permettent aux adolescent·e·s de se montrer ou se cacher. Les résultats divergent concernant la question de l’anonymat et de l’image : les adolescent·e·s se présentent de manière anonyme ou pas, affichent leurs photos ou pas. Concernant le genre, les Ambassadeurs se repèrent avec un faisceau d’indices.

Ce dispositif utilise précisément les spécificités des réseaux sociaux, pouvant soutenir des désirs tels que le désir d’intimité et d’extimité et le désir de se raconter comme le montre Serge Tisseron. Les réseaux sociaux servent des désirs très anciens : valoriser ses expériences du monde en les racontant, n’être jamais oublié, pouvoir se cacher et se montrer à volonté, maîtriser la distance relationnelle. Et l’auteur précise ensuite toutes les nouvelles caractéristiques des réseaux sociaux, par exemples : immédiateté, anonymat, apprendre avec les pairs, identités multiples, universalité, etc...

Se montrer ou se cacher à volonté

Les Ambassadeurs se montrent clairement dans les rues du numérique. Ils se rendent visibles et disponibles pour des adolescent·e·s avec leurs publications. Il s’agit d’un aller-vers numérique. Utiliser les deux modalités de publications (permanentes ou éphémères) parait intéressant pour cet aller-vers. Certain·e·s préféreront interagir ou réagir à des stories éphémères, cela ne laisse pas de trace sur le réseau social et permet de pouvoir parler sans se montrer. 

Les adolescent·e·s peuvent ainsi choisir de montrer ou de cacher leur identité (nom, image, genre) sur les réseaux sociaux. Sur ce point, cette recherche pourrait aller plus loin. Nous manquons de données ; un recueil quantitatif, notamment un questionnaire à destination des Ambassadeurs, rempli pour chaque jeune avec lequel il a un échange individuel, pourrait apporter des résultats plus significatifs. 

Serge Tisseron évoque également ce désir ancien de « se raconter pour exister » afin de « (…) commenter intérieurement les situations dans lesquelles il est plongé. C’est ce qui lui [l’être humain] permet de s’éprouver comme au-dessus d’elles par la pensée »4. Et en même temps, dans cette expérience du récit, l’adolescent·e peut maîtriser la distance relationnelle, « préoccupation est particulièrement forte chez les adolescents, du fait de la quête identitaire qui les anime »5 . L’adolescent, dans ce dispositif maîtrise la distance, y compris avec le charnel. Dans ces liens avec les Ambassadeurs, la dimension physique, corporelle est évincée.

Dans ce dispositif, les adolescent·e·s se racontent par messages écrits, par tchats sur Instagram. Gozlan parle d’une « écriture à vif ». Les réseaux sociaux offrent cette possibilité aux adolescent·e·s : pouvoir communiquer de manière spontanée, de manière régulière, voire quotidienne et ainsi d’obtenir une écoute très soutenue, de proximité. Frédéric Tordo a étudié les écrits en ligne en psychothérapie et décrit cette relation de proximité (psychique) et de contenance relationnelle qui s’installe entre le patient et le psychothérapeute. Il évoque cependant le risque de « décharge » pour le patient, par le biais de ces discussions instantanées : « puisque nous sommes dans une immédiateté (fantasmatique) des échanges, ces supports numériques sont aussi, et potentiellement, la voie privilégiée de la décharge ».

En s’appuyant sur les spécificités des réseaux sociaux, ce dispositif vient offrir aux adolescent·e·s une modalité relationnelle différente et complémentaire de ce qui peut être proposé dans les structures accueillant des adolescent·e·s, en présentiel. Pour ces adolescent·e·s, ce dispositif semble leur permettre de se situer plutôt dans une « virtualescence positive » (Gozlan, 2018) : « processus par lequel l’adolescent va trouver au sein du virtuel un espace d’élaboration de ses conflits pubertaires ». Ce processus peut s’avérer positif, créatif pour l’adolescent·e : l’espace virtuel (par exemple, les réseaux sociaux) accompagne l’adolescent·e à appréhender son corps, son environnement, les autres. Mais cette virtualescence peut aussi entraver le processus pubertaire et peut ainsi être une expérience dévastatrice pour l’adolescent·e (désintimité, cyberharcèlement, violence). Cette modalité relationnelle différente pose ainsi la question des limites du numérique : quels sont le cadre et les limites dans ces liens Ambassadeurs/adolescents sur les réseaux sociaux ? Enfin, une autre question se pose : en quoi ce lien tissé sur les réseaux sociaux permet-il aux adolescents d’aller vers des adultes aidant.tes en MDA ou ailleurs et ainsi de nouer une relation d’accompagnement en fonction de leurs besoins ?

Le statut étudiant des Ambassadeurs : un lien de proximité ?

Le statut étudiant des Ambassadeurs ainsi que leur âge, proche de celui des adolescent·e·s semblent, selon les résultats faciliter ces liens d’écoute et de soutien avec les adolescents sur les réseaux sociaux. 

Nous l’avons vu précédemment, les adolescent·e·s utilisent les réseaux sociaux principalement pour communiquer avec leurs pairs. Tisseron écrit que « les jeunes qui utilisent les nouveaux médias sont plus disposés à apprendre de leurs pairs que des adultes et des enseignants. Mais les adultes peuvent toutefois avoir une influence importante sur les jeunes en leur fixant des objectifs d’apprentissage et de réalisation »6. Dans ce dispositif, les Ambassadeurs se rapprochent de leurs pairs, du fait de l’âge et du statut étudiant. Selon mes résultats, cela semble faciliter la mise en lien sur les réseaux sociaux puisque les adolescent·e·s s’appuient beaucoup sur les relations avec leurs pairs sur ces réseaux. Mais n’est-ce pas plutôt l’écriture numérique sur ces espaces de discussion instantanée, qui favoriserait ce lien de proximité ?

Nous l’avons vu précédemment : être en lien via le numérique comporte aussi des risques. Je pense notamment à celui de basculer plus rapidement vers une relation d’objet virtuelle impliquant ainsi un mode de relation pathologique, avec des liens à autrui figés ou du repli. Je pense également à la question du cadre et des limites du dispositif. Quels sont les garde-fous pour les Ambassadeurs lorsqu’ils sont confrontés à une situation difficile voire grave ? Quelles sont les limites de leur pratique, notamment dans ces échanges numériques ?

Une des pistes futures de la recherche serait d’étudier les risques liés à ce dispositif et de proposer des moyens de les déjouer. Cette recherche autour du dispositif numérique des Ambassadeurs des MDA m' a permis de me pencher sur les travaux autour des réseaux sociaux et de leurs usages par les adolescents. Elle vient confirmer les travaux de Tisseron autour des caractéristiques des réseaux sociaux soutenant des désirs anciens et impulsant des désirs nouveaux. Ces nombreuses possibilités offertes par les réseaux sociaux servent particulièrement le public adolescent dans la phase de bouleversement identitaire et pubertaire traversée.

Un tel dispositif propose une modalité relationnelle numérique, différente et complémentaire des structures d’accueil classiques des adolescent·e·s. S’appuyant sur un réseau social avec ses spécificités numériques, ce dispositif permet à des adolescent·e·s d’être écouté·e·s et soutenu·e·s d’une autre manière. Il fait le pari d’une virtualescence positive pour ces adolescent·e·s-là.  Cependant, il comporte des risques notamment sur la question des limites et du cadre dans ces liens numériques.Quel accompagnement alors pour les ambassadeurs afin de soutenir au mieux les jeunes sur les réseaux

Notes

  1. https://www.fondationdefrance.org/fr/sur-les-reseaux-sociaux-une-brigade-dambassadeurs-pour-soutenir-les-jeunes-en-difficulte
  2. https://www.maisondesados-strasbourg.eu/ambassadeurs/
  3. 2021 Université de Paris DU Cyber psychologie MUSSEAU Maëlle
  4. Tisseron, S. (2011). Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes (17),  p 100-101
  5. Tisseron, S. (2011). Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes (17),  p 103
  6. Tisseron, S. (2011). Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes (17),  p 106

Bibliographie

  • Boyd, D. (2016). C’est compliqué : les vies numériques des adolescents. C&F Editions. 
  • Gozlan, A. (2018). L’adolescent face à Facebook. Enjeux de la virtualescence. In Press. 
  • Tisseron, S. (2011). Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes (17), 99-118. 
  • Tisseron, S., Tordo, F. (2021). Comprendre et soigner l’homme connecté. Manuel de cyberpsychologie. Dunod. 

3/6/9/12

L'association 3/6/9/12 est un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires s'appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron pour protéger nos enfants des dangers des écrans et leur apprendre à s’auto guider et à s’auto protéger.

Avant 3 ans : jouons, parlons, arrêtons la télé.

De 3 à 6 ans : limitons les écrans, partageons-les, parlons en famille

De 6 à 9 ans : créons avec les écrans, expliquons-lui Internet

De 9 à 12 ans : apprenons-lui à se protéger et à protéger ses échanges

Après 12 ans : restons disponibles

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Angélique Gozlan 

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Angélique Gozlan