Vous avez démarré ce projet avant le début de la crise du Covid. Avec cette crise, il a pris un autre tournant ?
J’avais le projet de faire un film sur la lutte contre la pauvreté. Avec la crise, la pauvreté change de visage et je voulais intégrer cette nouvelle donne. J’ai senti aussi une urgence à le faire. Parce qu’il y a le danger que cette nouvelle vague de pauvreté soit occultée par la relance de l’économie et le retour à une certaine normalité. J’avais été frappé par une rencontre lors d’un précédent tournage avec une femme qui avait vécu une faillite. Avec son mari, elle avait un service traiteur de luxe et leur affaire fonctionnait très bien. Et puis le mari est tombé malade et ils ont fait faillite. Et en 4 mois de temps, ils n’avaient plus aucun ami autour d’eux. Ils ont vécu la faillite, les dettes, la pauvreté … tout ça tout seuls. Et c’est ce que je crains un peu pour les personnes qui se sont appauvries avec la crise, qu’elles se retrouvent seules et qu’on les oublie. C’est pour ça que je voulais faire le film maintenant.
Dans votre film précédent, “Le prix du pain”, vous aviez recueilli les témoignages des personnes précarisées. Cette fois, vous allez à la rencontre des professionnels luttant contre la pauvreté, pourquoi était-ce important pour vous ?
Le taux de pauvreté qu’il y avait avant le Covid était déjà alarmant et le système qui la gère était déjà presque en rupture. Cela pose question dans une société riche. Je pense que le grand public ne se rend pas vraiment compte du parcours et des étapes par lesquelles passent les personnes qui s’appauvrissent, ni de ce qui se passe réellement au sein des services d’aide sociale, du système qui gère la pauvreté ici en Belgique. Je voulais aller voir et montrer comment la pauvreté est gérée et prise en charge concrètement.
Les travailleurs sociaux sont débordés et confrontés à des situations dramatiques
Dans quel état d’esprit est le personnel de l’aide sociale ?
On est dans un système paradoxal. Globalement, les aides octroyées ne permettent pas de vivre dans la dignité, c’est-à-dire au-dessus du seuil de pauvreté. Les travailleurs sociaux sont inquiets, débordés, ils ont de moins en moins de temps à consacrer aux personnes parce qu’il y en a de plus en plus, et pas plus de personnel. Il y a un parallèle avec le personnel soignant. Les travailleurs sociaux sont confrontés à des situations dramatiques. Et puis leur mission est aussi en train de basculer. Beaucoup ne se retrouvent pas dans un système qui est plus dans le contrôle que dans l’accompagnement.
Vous le dites, la lutte contre la pauvreté est un enjeu important et qui concerne tout le monde ?
Ce n’est pas seulement la personne qui s’appauvrit, c’est toute la société qui s’appauvrit. Les inégalités sont en train de se creuser et la crise accentue ce phénomène. Je pense que la façon dont on considère les personnes les plus faibles est le reflet de nos valeurs, le reflet de notre société. Il suffit d'écouter comment on parle des personnes les plus fragiles pour savoir quelle éthique est sous-tendue derrière ce discours.
Cela me sidère que l’on puisse vivre tranquillement avec le fait que des tas de gens vivent en-dessous du seuil de pauvreté
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant ce tournage ?
La pauvreté, on ne veut pas la voir, comme si on ne prenait pas le temps de regarder ce qui est en train de se passer, parce que c’est dérangeant. Les travailleurs sociaux, eux, ont envie et besoin de rendre public leur travail et de montrer la réalité. Et c’est ce que je veux faire avec ce film : attirer l’attention sur les limites et les paradoxes de ce système d’aide. Vivre dans la dignité est un droit inscrit dans la constitution et pourtant des tas de gens vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Il y a quand même là un glissement. Cela me sidère que l’on puisse vivre tranquillement avec ça. J’espère qu’avec ce film, le téléspectateur pourra se rendre compte concrètement des étapes de la précarisation, que cela ouvre le champ de la réflexion et des consciences.
Le documentaire "S’appauvrir" est à voir le lundi 14 juin à 22h25 sur La Trois dans l’émission Regard sur et à revoir sur Auvio jusqu'au 14 septembre !
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